Si la vie d’un musicien est souvent palpitante, voire légendaire pour certains d’entre eux, leurs débuts ne se font pas toujours dans des circonstances hors normes. Pour ce qui est des groupes de rock, c’est souvent par le biais des petites annonces ou sur les bancs de l’école que leurs fondateurs se rencontrent et décident de s’unir pour le meilleur ou pour le pire. Une partie des musiciens de Louise Attaque n’échappe pas à ce lieu commun de rencontre qu’est le milieu scolaire puisque le chanteur Gaëtan Roussel et le bassiste Robin Feix sont devenus amis au lycée avant de se lancer dans la musique.
C’est à Paris, aux débuts des années 1990, où ils partent faire leurs études, qu’ils fondent avec le batteur Alexandre Margraff, leur premier groupe de rock, Caravage ; un nom de baptême lourd de symbole puisqu’il fait directement référence au célèbre peintre italien Le Caravage, génie du clair-obscur et du réalisme sans concession. Une référence qui n’est d’ailleurs pas sans rapport avec l’engagement artistique de ces trois musiciens sans concession eux aussi, et sensible dans le verbe comme dans le son aux effets de contrastes.
Une fois leurs diplômes en poche, les trois amis préfèrent tenter leur chance dans la musique, et se consacrent alors entièrement à Caravage. En 1994, ils décident d’apporter un peu de couleur acoustique à leur rock initial, et passent une annonce dans un studio pour recruter un violoniste. C’est à cette occasion qu’Arnaud Samuel intègre le groupe et que Caravage devient Louise Attaque.
Louise Attaque, un nom de groupe un peu déroutant en apparence : on se demande qui est cette Louise saugrenue prête à bondir sur le premier venu. On pense à une plaisanterie souterraine, un oxymore déjanté, un clair-obscur un peu provoc’…Ce patronyme est effectivement une allusion espiègle à l’une des influences majeures de nos quatre musiciens : les Violent Femmes, combo punk-folk américain, dont le leader, /artist]Gordon Gano, va d’ailleurs superviser par la suite, les deux premiers albums des Louise.
Avec l’arrivée d’Arnaud Samuel, les musiciens de Louise Attaque vont enfin trouver leur propre style, une sorte de folk-rock entêtant et intense marqué par les envolées sous hypnose du violon et sublimé par les textes de Gaëtan Roussell, qui séduisent par leur tournure faussement naïve, cachant en creux une rare finesse, une pointe de mélancolie, et surtout un humour ravageur, entre ironie grinçante et jeux de mots malicieux. Ainsi, l’instrumentation comme les textes de Louise Attaque semblent jouer en permanence avec le clair-obscur, mêlant des sentiments contraires qui se noient ou s’imposent dans les mouvements frénétiques du violon.
Et c’est avec ce cocktail savoureux de chanson folk-rock que Louise Attaque va désormais faire sa place dans le paysage sonore francophone. Ainsi, après avoir mis en boîte quelques titres, les quatre Louise ne résistent pas à l’appel de la scène, et vont assez rapidement donner leur premier concert. En 1995, ils font un passage très remarqué au Printemps de Bourges, qui leur permet ensuite de conclure un premier accord avec l’éditeur Delabel, puis de signer un second contrat avec le label Atmosphériques. Les Louise peuvent alors entrer en studio pour l’enregistrement de leur premier coup d’essai.
En avril 1997, on peut alors découvrir dans les bacs le premier album éponyme des Louise Attaque, un opus à la fois efficace, entraînant, et terriblement attachant qui va séduire très vite la profession comme le grand public, et tout cela sans aucune promotion. Le violon d’Arnaud Samuel, roi de la fête, emporte les mots malins et subtils de Gaëtan Roussel dans un tourbillon sonore explosif. La musique exaltante de Louise Attaque comme la voix de Gaëtan Roussell, qui ne manque pas de rappeler Jacques Brel - une référence très présente aussi dans les textes du chanteur où l’ironie et l’amertume viennent régulièrement clouer le bec aux amours euphorisants - ne laisse donc personne indifférent.
Ainsi, quand les Louise démarrent leur tournée dans toute la France, le public est au rendez-vous, et au fil des dates, le groupe voit débarquer à leur concert de plus en plus de gens conquis par leur musique.
Au début de l’année 1998, les Louise ont franchi la barrière des 400 000 ventes d’albums. En avril, le groupe retourne au Printemps de Bourges et y fait un véritable carton, tout comme aux Francofolies de la Rochelle, quelques mois plus tard. Un an après, en 1999, on comptabilise près de 2,5 millions d’albums vendus pour les Louise, un score inimaginable, que le groupe aura du mal à assumer, les quatre musiciens préférant l’humilité et la discrétion aux strass et paillettes. En effet, si Louise Attaque devient l’un des chouchous du grand public à la fin des 90’s, le groupe n’est pas pour autant décidé à jouer le jeu de l’industrie du disque. Ce groupe s’est fait connaître sans matraquage publicitaire, et ne s’est jamais vendu ; c’est pourquoi le soudain intérêt massif des médias pour leur personne, tout comme le passage systématique en radio de « Je t’emmène au vent », la chanson phare du premier album des Louise, leur est difficilement supportable, (d’ailleurs, le groupe refusera pendant longtemps de jouer ce titre sur scène). Mais surtout, le succès a cette fâcheuse tendance à susciter des réactions ambiguës, entre envie et jalousie, admiration et sarcasme. Si Louise Attaque est d’un côté porté en triomphe par l’ensemble de la profession et du public, le groupe devient au même moment la cible de critiques excessivement cyniques et cassantes, que les quatre musiciens, tout juste débarqués dans ce grand cirque médiatique, ne sauront pas toujours prendre avec recul.
Dans ce climat de réussite et de millions d’albums vendus, il n’est donc pas surprenant que le second opus des Louise soit attendu au tournant par les fans comme par les journalistes, la critique musicale voyant en général le deuxième album d’un musicien ou d’un groupe comme la confirmation de la qualité artistique de ce ou ces derniers. Réussir à faire chavirer le public du premier coup est certes louable, mais n’était-ce pas un simple coup de chance, un concours de circonstances, ou bien une pulsion créative soudaine qui peut-être ne reviendra jamais plus ?
Comme on a dit, qui sort en janvier 2000, va de nouveau conquérir les foules puisqu’il se vend à plus de 700 000 exemplaires. Or, à l’image de la pochette de ce second opus, plus sombre et plus discrète que la jaquette du premier album, les Louise ont décidé cette fois-ci de rester dans l’ombre et de mettre les médias à la porte. Ainsi, la Louise des débuts a grandi et a pris du recul sur ce qu’elle a vécu récemment. Les chansons de ce deuxième album sont ainsi marquées par cette douloureuse prise de conscience qu’il va falloir sans cesse se battre contre la routine, en amour comme ailleurs, contre les idées toutes faites, et contre ceux qui érigent ces idées reçues en véritable institution. Comme on a dit évoque aussi les doutes qui ont envahi les Louise depuis la sortie de leur premier album ; des doutes que le violon d’Arnaud Samuel, toujours aussi présent dans ce deuxième album, souligne en vibrant de mélancolie et d’amertume, voire de colère. Les textes de Gaëtan Roussel quant à eux interrogent, s’interrogent, et mettent en exergue le sentiment d’être pris au piège, l’envie d’être ailleurs, la Rage de voir les dents longues, et les artifices briser les rêves de ceux qui n’ont jamais su mordre ou s’échapper d’eux-mêmes, de ceux qui n’ont pour arme que la passion et la sincérité.
Bien décidés à prendre le contrôle de leur vie artistique, et à ne plus se laisser harceler par qui que ce soit, les Louise vont non seulement prendre leurs distances avec les médias, mais vont aussi, au cours de l’année 2000, privilégier les petites scènes aux grandes salles de spectacles bondées, créant par ailleurs leur propre festival où ils convient tous leurs amis musiciens, des Violent Femmes à Mickey 3D en passant par Cornu ou les Wampas.
Or, malgré tous leurs efforts pour rester intègres et au plus près de leurs désirs, les quatre musiciens n’arrivent pas à surmonter la pression. Epuisés, les Louise décident alors de faire un break et partent chacun de leur côté se changer les idées à travers de nouvelles expériences musicales. Gaëtan Roussel et Arnaud Samuel fondent ainsi le groupe Tarmac et sortent sous ce nom deux excellents albums, L’Atelier, qui paraît en 2001, et Notre Epoque, qui voit le jour en 2003. Alexandre Margraff et Robin Feix créent le groupe Ali Dragon, avec lequel ils font une échappée belle vers le hip hop et les musiques électroniques. Le duo sort en 2002 un unique album, Le Dernier Cri.
En 2003, les quatre musiciens ne savent pas encore s’ils vont renouer avec Louise Attaque. Ils décident pourtant de se revoir afin de prendre le pouls de cette Louise, certes encore fragile, mais qui a peut-être toujours en elle, l’envie irrépressible de reprendre le chemin des studios et de la scène. Les musiciens se mettent alors au travail et pondent en studio plusieurs chansons au cours de l’année 2004 avant de faire le tour du globe en 2005, de la Russie jusqu’en Amérique Latine en passant par l’Inde, pour y donner des concerts. Ce voyage en musique et les quelques essais en studio ont finalement été concluant puisque les Louise s’envolent à New York enregistrer leur troisième album, A plus tard crocodile, qui sort en septembre 2005.
Avec ce troisième album, dont le titre fait allusion au « See You Later Alligator » de Bill Haley et ses Comets, les Louise prouvent qu’ils n’ont pas fini de surprendre leur monde, et que leur créativité ne s’est pas éteinte, loin de là. Certes, le violon a toujours une place de choix dans A plus tard crocodile, mais il ne s’impose pas avec autant de force que sur les deux opus précédents. De plus, le folk-rock des débuts se pare ici d’autres accessoires sonores, des musiques électroniques au reggae, qui apportent plus de légèreté au rythme comme à l’instrumentation de ces nouvelles chansons voyageuses et solaires. De façon générale, l’album respire la sérénité et même si l’on sent encore parfois percer l’ironie et la mélancolie dans les textes de Gaëtan Roussel, il semble qu’avec A plus tard Crocodile, les Louise aient chassé tous leurs doutes pour laisser vivre enfin leurs rêves.